Notre confrère Christian Maillard a reçu en novembre dernier le prix 2024 de la Bonne nouvelle de l’AJJH. Il lui a été décerné pour sa nouvelle, « Le Parfum d’iris », publiée ci-dessous. La nouvelle répondait comme les trois autres textes reçus, au thème de l’année : Parfums d’enfance. Comme Aurélien Davroux, lauréat 2023, Christian participera au jury de l’édition 2025. Pour rappel, le concours de la Bonne nouvelle est ouvert à TOUS les adhérents de l’AJJH ! Le thème 2025 sera dévoilé courant avril.
Le Parfum d’iris
Nouvelle de Christian Maillard,
Prix AJJH de la Bonne nouvelle 2024
En ce mois de juin 2022, je viens visiter la maison de Ville-d’Avray que mon frère aîné s’est enfin décidé de vendre, sans doute pour payer la pension alimentaire de son récent divorce que je viens d’apprendre. Je n’y étais pas retourné depuis une stupide brouille entre nous dont nous avions fini par oublier la raison. C’était la maison de Ronane, notre grand-mère, dont il avait hérité. Pour ma part, j’ai obtenu celle de ma mère après son décès. Nous ne nous parlions plus, mais nous nous estimions. La maturité rend parfois plus bête que l’enfance. Mon frère n’avait pas voulu vendre ni habiter la maison. Il passait cinq à six fois dans l’année pour être sûr qu’elle n’était pas squattée. La maison est située rue Pradier, non loin de celles qu’avaient occupé Yehudi Menuhin, Boris Vian et Jean Rostand. Dans cette même rue, Michel Deville avait tourné des scènes de « Péril en la demeure » en 1985 avec Nicole Garcia, dont la voix me fait toujours le même effet. Je me trouve devant le portillon vert du lieu où, enfants, nous passions nos vacances, en alternance avec mon frère pour ne pas fatiguer Mamie.
Je me souviens du jardin où je l’aidais et ramassais avec elle escargots et noisettes, où j’avais appris à faire du vélo, et surtout à apprécier les plantes. Mon père m’y avait aussi appris le nom des arbres. Je me souviens du pétrichor, mais aussi des fruits, en particulier les framboises et les groseilles que nous cueillions pour faire des confitures avec Mamie. Il y avait aussi des cerises que les merles s’évertuaient à nous chaparder avant leur cueillette. Je me rappelle aussi le pissenlit et le pourpier qui finissaient en salades. Il y avait surtout des fleurs, comme ce pavot aux énormes pétales rouges, des jonquilles et des désespoirs du peintre. Je me délectais des pivoines (quand la pluie ne massacrait pas leurs fleurs) et surtout des iris, mes fleurs préférées. Il y en avait plein de plusieurs couleurs, mais surtout des mauves, semblables à ceux ornant les talus SNCF. Avec Mamie, nous passions souvent à côté, et des effluves m’enivraient et me transportaient.
Je me décide enfin à tourner la clef dans la serrure et à pousser le portillon. Je redécouvre alors le jardin à l’abandon débordant de mauvaises herbes, pardon « adventices », comme on les appelle maintenant. Les fleurs de mon enfance n’étaient plus là. Plus un seul iris ! Ne pas avoir divisé leurs rhizomes était sûrement la raison de leur disparition. La mélancolie m’emporte aussitôt dans un flot de regrets de ne pas être revenu plus tôt. Je me surprends à retrouver mes gestes d’enfant en frottant les feuilles de romarin pour en sentir le parfum sur mes mains. Je rentre dans la maison et retrouve les pièces aux meubles recouverts de draps tels des fantômes d’ébénistes. Je me revois jouer aux billes par terre, jouer au Mille-bornes sur la table du salon, lécher les cuillères de confiture dans la cuisine et me blottir dans ma cachette préférée, sous l’escalier de l’entrée lors des interminables parties de cache-cache. Je monte à l’étage et retrouve la chambre de Mamie, avec son étagère où trône toujours sa collection de vierges et de Sainte-Thérèse. J’ouvre les tiroirs de sa commode les uns après les autres. Parmi les papiers, les pages découpées de vieux numéros du « Touring club de France », du « Jardin des modes » et de « La vie du rail ». Je découvre une vieille boîte de Traou Mad® que je ne connaissais pas.
L’étiquette manuscrite « Ma vie » m’intrigue tout de suite. Je l’ouvre et y trouve de vieilles photos de mes grands-parents, de mes parents et de mon frère et moi. Certaines sont en noir et blanc, d’autres en couleurs. Il y a aussi des cartes postales des Tours de Merle, de Madrid et d’autres, plus anciennes, d’Enghien-les-Bains avec son casino en forme de navire, de Saint-Jean-d’Angély ou des inondations de 1910 à Courbevoie. Il y a aussi des sachets de graines, des tickets de cinéma, d’autres de rationnement, des perles, des étiquettes de parfum et surtout un carnet à petits carreaux sur lequel est écrit « Paradeisos » comme Mamie appelait si joliment son jardin. C’était à la fois un calendrier avec les travaux à réaliser, des dessins d’associations florales et une liste de plantes à n’en plus finir, toutes classées par ordre alphabétique dans une écriture manuscrite parfaite. Emporté par la nostalgie du parfum des iris, je vais aussitôt à la lettre « i ». Cinq variétés étaient mentionnées : ‘Froufrou’ (pétales lavande et sépales violets à barbe jaune foncé orangé), germanica cv. (mauve uni), ‘Salonique’ (pétales jaune clair et sépales rouge pourpré foncé, strié de crème), ‘Zampa’ (bleu roi), sans oublier des iris des marais récoltés lors d’un séjour dans le Val de Saire. Encore sous le charme de cette découverte, je finis rapidement la visite de la maison et m’aperçois en partant que le poulailler a lui aussi disparu. Mon frère m’avait dit de prendre ce que je voulais, je pris uniquement le carnet à petits carreaux. Je passe les soirées suivantes à y relire noms vernaculaires et scientifiques des plantes. Après de multiples recherches, soucieux de retrouver les variétés d’iris pour mon balcon, je les retrouve au catalogue d’un producteur du Loiret. Bien que celui-ci me signifie que, pour lui, ces iris sont dépourvus de parfum, je les lui commande.
Le mois d’août approchant, je les plante aussitôt dans des jardinières. Chaque jour de mai 2023, une nouvelle fleur d’iris s’ouvre. Les mauves côtoient les tons bleus, jaunes, rouges et crème. Hélas aucun parfum ! C’est incompréhensible, je m’en souviens pourtant. Ce parfum me revient en mémoire de plus en plus. Nous sommes en été, je divise mes iris comme il m’a été conseillé. Pourtant, je redoute déjà que ce geste de jardinier ne soit pas la solution. Effectivement, dès mai 2024, les iris refleurissent davantage mais ne sentent toujours rien ! Quelle cruauté de la nature Dans l’espoir d’en savoir davantage sur les iris et de rencontrer un horticulteur, je me rends au salon « Jardins jardin ». Il se tient pour la première fois dans le parc de la villa Windsor, dans le bois de Boulogne. C’est samedi et il pleut à torrents. Trempé, au lieu de me rendre directement sur le stand d’un pépiniériste, je me réfugie pour me mettre à l’abri dans le jardin « L’iris de Chanel », près de la villa Amélia. Est-ce un signe en ce 1er juin, Sainte-Ronane ? Seules les rares personnes connaissant ce prénom d’origine irlandaise savent qu’il se fête ce jour-là. Très attaché aux anniversaires et aux fêtes, j’y vois un signe du destin, et commence la visite de ce jardin vers lequel la pluie m’avait conduit. Une jeune femme de chez Chanel guide un groupe de quelques personnes sur la trace de l’iris dans la parfumerie. En particulier de l’Iris pallida, cultivé à Pégomas. J’y apprends que tout commence par l’iris de Florence. J’y apprends surtout que le parfum est issu non pas de la fleur, mais du rhizome. Je découvre que tout part du « beurre d’iris », nécessitant six années de patience.
Au terme de la visite du jardin, des « touches à sentir » permettent de humer plusieurs parfums Chanel, pour lesquels l’iris entre dans la composition. Soudain, c’est la révélation. Le parfum que je recherchais tant n’était pas celui des iris. C’était celui de ma grand-mère. Je la revois alors s’en imprégner régulièrement avec ses doigts à l’arrière des oreilles. Mes souvenirs de jardin étaient enivrés de cette fragrance. A cet instant précis, je revois l’étiquette du Chanel n° 19 dans la fameuse boîte de Traou Mad®…
Réaction de Christian Maillard à propos de son prix…
» Découvrant le prix de Bonne nouvelle, je me suis laissé tenter par l’idée d’une nouvelle expérience d’écriture, ayant jusqu’alors toujours écrit des textes descriptifs de jardins. Cette fiction allait donc être une première. Le thème m’a séduit et je me suis lancé le défi d’écrire avec l’idée de retrouver l’ambiance de « Hyacinthe et Rose » (2011), magnifique texte de François Morel (« Prix Saint-Fiacre 2011 »), sans le relire au préalable. Je me suis replongé dans mes souvenirs personnels de trois jardins de mon enfance pour en créer un de toutes pièces et de parler des iris, ma fleur préférée. Ce prix représente pour moi une fierté d’avoir été reconnu par des professionnels, mais surtout, plus je fais lire cette nouvelle, plus je me rends compte qu’elle parle à tout le monde, c’est donc une seconde fierté ! »
Le jury 2024 était composé de Sylvie Hamel, Fabienne Jarry-Astès, Aurélien Davroux (lauréat 2023).