Le 3e prix du concours de La Bonne Nouvelle a été décerné à Isabelle Vauconsant le 26 novembre 2025 à Paris. Sa facétieuse Graine millénaire a touché le jury avec légèreté, humour et tendresse.
Les autres challengeuses, Laure Gry, Fabienne Jarry et Marianne Niemans, membres de l’AJJH, ont joyeusement montré leurs talents de conteuses. Du mystère, de l’émotion et de jolis grains de poésie… merci pour cette jolie récolte.
Le jury était composé de Marie-Christine Morosi, Aurélien Davroux, Christian Maillard et Sylvie Hamel.
Place à la victorieuse et bonne lecture !
La graine millénaire
Dans le grenier poussiéreux de Mme Dubois, entre une boîte à chaussures éventrée et un parapluie manchot, dormait depuis cent cinquante ans une graine d’une obstination légendaire. Cette semence n’était pas ordinaire : Gertrude, comme elle s’était pompeusement baptisée vers sa cinquantième année d’existence, était devenue au fil des décennies la doyenne incontestée et quelque peu autoritaire des graines oubliées de ce grenier devenu son royaume.
Contrairement à ses consœurs qui avaient rendu l’âme depuis belle lurette, Gertrude s’accrochait à la vie avec l’entêtement d’une centenaire, refusant catégoriquement de quitter son appartement. Elle avait traversé deux guerres mondiales en râlant contre le bruit des bombardements, vu défiler trois générations de Dubois en commentant leurs modes vestimentaires, et assisté impuissante, mais non sans amertume à l’invasion progressive des objets en plastique dans son univers autrefois exclusivement végétal et minéral.
Un matin de printemps
Ce matin de printemps particulièrement ensoleillé, quelque chose d’extraordinaire se produisit. La boîte fut saisie par des petites mains grassouillettes appartenant à la petite Léa, puis abandonnée quelques minutes plus tard sur le banc longeant la maison, l’enfant ayant été distraite par l’appel du goûter. Un rayon de soleil malicieux, filtrant traîtreusement à travers une branche du grand platane centenaire, vint chatouiller directement l’enveloppe ridée et parcheminée de Gertrude.
« Tiens donc ! » marmonna-t-elle de sa voix grailleuse de graine séculaire. « Voilà bien longtemps qu’on ne m’avait pas rendu visite, mon cher et vieil ami Soleil ! »
Mais le plus extraordinaire restait à venir. Une goutte d’eau rebelle, échappée d’une gouttière défaillante, choisit précisément cet instant providentiel pour s’écraser sur elle avec un « ploc » retentissant qui résonna comme une fanfare. Gertrude, qui n’avait pas bu une seule goutte depuis le torride été de 1923, sentit soudain ses tissus desséchés et racornis se gorger d’humidité avec une volupté indescriptible.
« Par ma cosse desséchée ! » s’exclama-t-elle avec un enthousiasme qu’elle n’avait plus ressenti depuis des lustres. « Serait-ce enfin mon heure de gloire tant attendue ? »
Et ça repart !
Sans crier gare, ses mécanismes biologiques millénaires, rouillés par l’âge, mais miraculeusement encore fonctionnels, se remirent en marche avec des grincements audibles qui auraient fait pâlir d’envie une porte de château hanté. Une radicule timide et frêle pointa prudemment le bout de son nez, suivie d’une tige qui, bien que chancelante comme une octogénaire, affichait une détermination tout à fait admirable.
En quelques heures seulement, Gertrude accomplit enfin ce pour quoi elle était née : germer majestueusement. Mais à son âge canonique, les choses ne se déroulaient évidemment pas comme pour une vulgaire graine de tournesol. Sa tige, au lieu de pousser droite vers le ciel comme toute plante respectable, zigzaguait joyeusement entre les objets de la boîte, contournant artistiquement un vieux crayon, escaladant avec grâce une pile de cartes à jouer jaunies.
L’éveil
Ses premières feuilles, parsemées de taches de vieillesse végétale assumées, déployèrent des couleurs absolument inédites : un mélange vert-jaune-mauve-orangé qui aurait rendu jaloux un arc-en-ciel. Plus surprenant encore, elles émettaient de petits craquements à chaque mouvement, comme si Gertrude souffrait d’arthrite botanique chronique.
« Diantre ! » s’écria Mme Dubois en découvrant le phénomène lors de sa promenade vespérale. « Une plante ! Ici ! Mais comment diable est-ce possible ? »
Gertrude, fière comme Artaban, se dressa de toute sa hauteur respectable de quinze centimètres. Enfin quelqu’un remarquait son existence ! L’enfant, émerveillée par cette apparition magique, aida sa grand-mère à transplanter délicatement cette créature « peut-être enchantée » dans le plus joli pot de la maison.
La transmission
Le lendemain, au bout de sa tige principale, un bouton se forma puis s’épanouit en une fleur absolument extraordinaire. Imaginez une marguerite ayant fumé la pipe toute sa vie : les pétales jaunis et fripés dégageaient un parfum mélange de violette et de vieux parchemin, tandis qu’au centre trônait une petite barbe blanche ondulant dans la brise.
Gertrude, dans sa sagesse millénaire, décida de produire une graine, des graines encore plus extraordinaires qu’elle. Chacune portait un fragment de toute l’histoire vécue : souvenirs de jardins oubliés, échos de conversations perdues, parfums de saisons révolues.
Quand vint l’automne, Gertrude confia ses précieuses descendantes au vent : « Allez-y, mes petites ! Que votre histoire soit plus farfelue encore que la mienne ! »
L’Héritage Extraordinaire de la graine
Trois mois après ces événements extraordinaires, les répercussions se faisaient sentir dans tout le quartier des Platanes. M. Marcel Leclerc, pharmacien méticuleux et jardinier du dimanche, écoutait médusé son radis lui narrer l’histoire d’un escargot myope épris d’une laitue prétentieuse.
« Écoutez-moi cette perle, mon cher Marcel ! » s’exclamait le légume d’une voix oscillant entre l’accent bourguignon et la préciosité parisienne. « Il était une fois un escargot qui se prenait pour un bolide ! »
Marcel, habitué aux certitudes chimiques, avait d’abord soupçonné ses tisanes de verveine. Mais force était de constater : son radis parlait et possédait un humour remarquable !
Chez Mme Carmen Fernandez, les tournesols avaient développé une passion pour l’astronomie nocturne. Au lieu de suivre le soleil, ils pivotaient vers la lune en soupirant romantiquement.
« Luna mia, bellissima ! » murmurait le plus imposant, transformant le jardin en salon poétique nocturne.
Mais c’était chez Mme Poulain, la fleuriste, que les merveilles atteignaient leur apogée. Ses roses, héritières directes de Gertrude, entonnaient chaque soir des berceuses si apaisantes que tout le quartier s’endormait paisiblement.
Rose-Marie, la plus talentueuse, était devenue la coqueluche du voisinage. Les jeunes mères faisaient la queue pour emprunter cette chanteuse végétale aux vertus soporifiques miraculeuses.
L’harmonie fut troublée par l’arrivée du Professeur Duchemin, botaniste éminent et sceptique professionnel. Entendre le radis de Marcel raconter des plaisanteries sur un poireau aspirant avocat faillit lui faire avaler sa pipe !
« Impossible ! » maugréa-t-il. « Une plante ne peut parler ! »
Mais le radis, nullement intimidé, interpella le savant : « Votre botanique moderne manque d’imagination ! Connaissez-vous celle du cactus inscrit à un cours de danse ? »
Le professeur enquêta et découvrit l’origine du phénomène : toutes ces plantes descendaient de la mystérieuse Gertrude. Chacune portait une parcelle de sa mémoire ancestrale : le radis avait hérité des anecdotes familiales, Rose-Marie des berceuses d’antan, les tournesols des déclarations d’amour chuchotées.
« Cette graine était une bibliothèque vivante ! » s’exclama-t-il, conquis.
Mais Gertrude n’avait pas révélé tous ses secrets. Ses graines de seconde génération développaient déjà des capacités plus extraordinaires encore, promettant de nouveaux prodiges qui défieraient une fois de plus l’imagination humaine et les lois de la nature.

En Une :
De gauche à droite, les candidates au prix de la Bonne Nouvelle : Laure Gry, Marianne Niermans, Isabelle Vauconsant et Fabienne Jarry.
©Snezana Gerbault